J’ai deux corbeaux perchés sur mes épaules.
Ils se partagent le ciel.
L’un s’en va tous les matins glaner dans les cinq mondes ce qu’au soir il me rapporte doucement à l’oreille...
Le second, sédentaire, ami de sainte Flore, dans les nuages d’or et les roses rayons de cieux crépusculaires pour toujours s’est posé.
Le petit bégayait. [...]
Le vent de la pensée, s’il soufflait trop fort, ferait des ravages. Prudence qui, pour prémunir de la solitude, y condamne.
Le bègue, c’est un délicat. [...]
Il sait bien, lui, que les écrits s’effacent mais que les paroles restent.
Le premier, tout ébouriffé de ce vent d’origine, me dit les vieilles légendes que savent les pins...
Leur écorce gorgée du sang noir du berger, d’Attis émasculé.
Sous le noyer la pie, autrefois si bonne chanteuse,
qu’elle enchantait le premier monde,
invective de sa voix dévoyée
les amours chanceuses d’un papillon et d’une vagabonde...
La jeune mendiante n’entend que son cœur qui babille
de mots heureux,
un arc-en-ciel dans les pupilles.
L’oiseau de pensée ne connaît pas la mer,
ni le mistral, ni les falaises.
Il ne connaît que le silence de l’Arcambe
et les jours sans histoire.
Car ce sont bien mensonges que le brouillard emporte par-delà Parlan.
Sur ces collines tendres comme le bord des lèvres,
sur cette terre née du baiser des frontières,
un jour nouveau se lève...
L’Enfariné fait son deuil sans pleurer,
baptisé de rosée,
le visage enfoui dans les feuilles des figuiers.
Stéphan Ferrari est ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de Lettres modernes et professeur de classes préparatoires. Il a également enseigné à l’Université Paris-Sorbonne.
Spécialiste de littérature, son travail d’écriture se déploie en dehors des cadres académiques : dans la marge, dans la fêlure, dans ce qu’il appelle lui-même les trébuchements de la voix.
Son style mêle prose poétique et récit autobiographique, nourri de références classiques et de mythes réactivés (Œdipe, Attis, Orphée), qu’il fait dialoguer avec des souvenirs d’enfance, des figures familiales, et des paysages brûlés de lumière et de silence.
Auteur rare, sa langue porte l’empreinte de ceux qui ont peiné à parler : bègues, blessés, enfants mutiques. Dans Voix Trébuchées, il explore le pouvoir et le poids des mots, le vertige de dire, l’impossible oubli.