Frédéric Jean Gilles

II. Folie ou révélation ? Une frontière poreuse

I. Ouverture sensorielle : un instant suspendu

Extrait de Si la mer meurt :
« Une nuit. Une rue sans nom. Une fatigue qui colle. Il avancera. Pas vite. Pas lentement. Il avancera. Et là, au détour – Bouddha.
Pas une statue. Pas un bibelot à encens. Un vrai.
Mais pas de chair. Ni d’os. Plutôt une présence translucide, comme sculptée dans l’eau claire. »

Il était là. Devant moi. Dans une présence presque impossible à croire. Non pas un corps, mais quelque chose d’approchant. Un soupçon de corps. Traversé de lumière. Rouge, verte, bleue. Elle glissait sur lui comme le vent sur une flamme. Ne touchait rien. Épousait tout. Et dans son passage, elle laissait derrière elle une trace. Légère. Un frémissement à peine visible, comme une buée. Et dans cette brume, on distinguait ce qu’on ne voit pas toujours : la force des muscles, la dignité du geste. Il était assis. Dans la posture du lotus. Immobile. Silencieux. Présent.

Phénomène hallucinatoire ou expérience mystique ?

 

La description de cette vision évoque un état modifié de conscience, où la perception ordinaire se fissure pour laisser apparaître des contenus inhabituels. En psychiatrie, ces vécus peuvent se rapprocher des hallucinations visuelles complexes, fréquemment rapportées dans certaines affections (troubles psychotiques, troubles du sommeil, ou états dissociatifs). Toutefois, la charge émotionnelle positive, le caractère transformateur et la sérénité associée évoquent également une expérience mystique, proche de ce que William James appelait une « expérience religieuse directe ». Ce type d’expérience est souvent différencié d’une hallucination pathologique par l’absence d’angoisse, de désorganisation, et par son intégration harmonieuse dans la vie psychique.

Les visions ne me visitent pas souvent. À peine quelques-unes. En 2002, 2010, 2015. Des exceptions. Des éclats. Mais cette fois-ci, c’était différent. Cette fois, ce fut comme une naissance dans la tête. Une apparition. Une image sans bruit. Un bouddha. Surgi sans frapper. Comme une lumière qui s’allume toute seule. Comme si c’était le moment juste. Celui qu’on n’attend pas mais qu’on reconnaît.

Et peu importe, au fond, ce que j’ai vu. Un bouddha ? Une fleur ? Une présence ? Une douceur ? Cela n’a pas tant d’importance. Ce qui compte, c’est le désir — immense — qu’il reste. Qu’il ne disparaisse pas dans le remous de mes pensées. Qu’il ne se noie pas dans la routine. Qu’il ne glisse pas dans l’oubli. J’ai voulu le garder. Le protéger de ma distraction. L’ancrer contre le vent de l’habitude.

Le rôle de l’attention et de la mémoire dans les états psychiques extrêmes

Le texte illustre la dynamique attentionnelle propre aux états méditatifs : l’effort de « garder » la vision et d’éviter sa dissolution dans la routine. En psychologie cognitive, cela correspond à un focus attentionnel soutenu, qui peut renforcer la consolidation mnésique de l’événement. Dans un contexte de fragilité psychique, ce mécanisme peut agir comme un facteur de résilience, en permettant à une expérience subjective de devenir une ancre positive, voire un point d’appui identitaire.

Je sentais l’étrangeté. Je reconnaissais l’écart. Le pas de côté. Mais au lieu de fuir, j’ai tenté d’ouvrir plus grand. De laisser cette lumière vivre. D’en prolonger la beauté. Comme on retient une respiration rare.

Car c’était beau. Et c’était fort. Une beauté sans bruit. Une force sans geste. Et tout cela, je le savais, venait d’un effort. Un long chemin de concentration. De silence. De patience. Cette image, née dans le calme, portait en elle la clarté d’un éveil.

 États méditatifs et neuroplasticité

Les descriptions évoquent des états méditatifs profonds. Des études en neurosciences ont montré que la pratique régulière de la méditation modifie durablement certaines régions cérébrales (notamment le cortex préfrontal et l’insula), favorisant l’autorégulation émotionnelle et l’accès à des perceptions subjectives inhabituelles. Cette plasticité pourrait expliquer l’émergence d’expériences sensorielles vives, perçues comme des « apparitions » chez certains méditants expérimentés.

Je parle de tout cela parce que, parfois, il faut traverser les apparences. Oser croire que même une hallucination, si elle fait naître de la paix, mérite d’être écoutée. Jadis, j’aurais biffé ce passage. Trop bizarre. Trop incertain. Mais plus aujourd’hui.

Aujourd’hui je sais qu’on peut être brisé. Qu’on peut être remplacé. Effacé. Mais je sais aussi qu’on peut être nourri. Par des choses fragiles. Des visions. Des fragments. Des mystères qu’on ne maîtrise pas.

🔹 Analyse psychiatrique : Hallucination pathologique vs. hallucination constructive

Dans le champ psychiatrique, les hallucinations sont souvent associées à la désorganisation psychotique. Cependant, ce récit propose une autre lecture : celle d’une hallucination constructive, qui nourrit et restaure le sujet au lieu de le fragmenter. Cette distinction rejoint les réflexions contemporaines sur les « expériences exceptionnelles » (ex. : visions chez les personnes endeuillées, extases mystiques) qui peuvent jouer un rôle psychothérapeutique spontané.

Quant à moi, depuis 2007, depuis que j’ai rencontré l’enseignement du bouddha, une chance étrange m’accompagne. Elle ne fait pas de bruit. Elle se glisse dans les jours. Elle éclaire les coins que j’avais oubliés.

Je ne dis pas que j’ai vu un bouddha de chair. Je dis que l’inattendu est venu. Et qu’il m’a effleuré. Et que j’ai voulu qu’il reste. Qu’il imprime son passage. Qu’il s’inscrive, jusque dans mes cheveux. Je respirais sa lumière. Je buvais sa forme. Et mon esprit, sans le savoir, donnait à cette image mentale un poids tel qu’elle remplaça, un instant, tout le reste. Le réel même. Elle se posa dans mon regard intérieur comme une promesse. Une rupture avec le temps d’avant.

 L’expérience de rupture et le concept de numineux

Carl Gustav Jung a décrit ce type d’expérience comme une rencontre avec le numineux, un « tout autre » qui bouleverse les structures psychiques habituelles. Cette rupture avec le temps linéaire et l’apparition d’un « réel supérieur » sont fréquentes dans les récits de transformation psychique, que ce soit dans le cadre de psychoses aigües ou d’expériences spirituelles intégrées.

Avant, j’étais là, un peu absent au monde. Comme si rien ne me concernait vraiment. Et puis un jour, tout s’est fendu. Une cassure dans le mur. Une lumière a passé.

Je vivais alors avec un homme italien. J’étais seul. Je dormais. Quelque chose, peut-être un frisson, une lumière tapant contre mes paupières, m’a tiré du sommeil. J’ai ouvert les yeux sur une brèche. Une absence de langage. Une musique d’un autre monde. Et dans cette faille, lui. Le bouddha. Ou son image. Ou sa grâce.

Je l’aurais regardé longtemps. Je voulais qu’il dure. Mais je n’ai pas su. La concentration a fléchi. Une pensée est venue. Une toute petite. Et déjà, l’image reculait.

 Hypnagogie et hallucinations à l’endormissement

Le moment de la vision (juste avant ou après le sommeil) évoque un état hypnagogique. Les hallucinations hypnagogiques sont fréquentes et bénignes : elles apparaissent dans l’état intermédiaire entre veille et sommeil, lorsque les systèmes perceptifs et attentionnels sont relâchés. Leur contenu peut être visuel, auditif ou kinesthésique et parfois fortement chargé émotionnellement.

J’ai compris, tout de suite : ce serait mon secret.

Sa méthode, pas à pas. Ce chemin qui mène vers le retour parmi les vivants, les souffrants, par pure compassion, ne m’a jamais quitté. Il me hante comme une lumière qu’on ne peut éteindre. Et je me demande : que vaudrait un éveil, s’il laissait les autres dans la nuit ? Que vaudrait un état de grâce, s’il restait muet devant la douleur ?

J’ai connu la douleur. Vraiment. Celle de la maladie mentale. Mais j’ai écrit. Même pendant la tempête. Même au creux des crises. Et l’écriture m’a permis — peut-être — de me tenir debout. De m’extraire un peu. De cette désorganisation féroce. De cette folie en éclats.

Ou alors, c’est pire encore. Peut-être que je ne me suis pas extrait. Peut-être que j’ai seulement écrit plus loin dans la folie. En me laissant traverser par l’énergie commune. Celle qui passe de l’un à l’autre. Celle qui transporte les peurs et les espoirs. La même.

Et si la folie portait, parfois, les graines d’un éveil ?

Folie et créativité, une frontière poreuse

Ce questionnement sur l’écriture « dans la folie » renvoie à la relation complexe entre troubles mentaux et créativité. De nombreux auteurs (Deleuze, Foucault, Laing) ont interrogé cette frontière : la souffrance psychique extrême peut contenir des potentialités créatrices et des moments d’auto-guérison. La production artistique ou littéraire apparaît alors comme un espace transitionnel (au sens de Winnicott), où le sujet transforme son chaos interne en forme partageable.

  #ÉcritureThérapeutique  #SantéMentaleEtCréation  #ÉcrirePourGuérir #ArtEtFolie #JournalIntime #RésilienceParLesMots #MaladieMentaleEtCréativité#FolieCréatrice #Catharsis #LittératureEtSantéMentale

Partagez cet article :

Facebook
X
WhatsApp
Email

2025 Mon prochain livre sort en octobre

Jours
Heures
Minutes
Secondes

Ce qu'ils en pensent :

Extraits lecture publique :

Playlist

4 Vidéos

D'autres articles :

dessin d'une femme en selfie devant bouddha

II. Folie ou révélation ? Une frontière poreuse

Tout au fond. Là où la lumière ne vient plus. Là où les sons meurent. J’y suis tombé. La tête prise sous un poids que je ne voyais pas. Comme si un camion-benne s’était posé sur moi. Je n’étais plus qu’un reste. Une trace. Une flaque. Une ombre de vivant. Une bactérie sans nom.

Lire l'article
grafitti d'une femme avec une banlance sur la tête

Ouverture

Une nuit. Une rue sans nom. Une fatigue qui colle. Il avancera. Pas vite. Pas lentement. Il avancera. Et là, au détour – Bouddha.
Pas une statue. Pas un bibelot à encens. Un vrai.
Mais pas de chair. Ni d’os. Plutôt une présence translucide, comme sculptée dans l’eau claire.

Lire l'article
HAUT DE PAGE

@FredericJeanGilles2025