C’était l’hiver 2001.
Après une période de repli, j’ai peu à peu perdu les liens affectifs et amicaux qui me rattachaient aux autres. Ce glissement vers l’abîme — lent, insidieux — a duré des mois. Je me suis retiré du monde, jusqu’à sombrer dans une phase plus critique de la maladie : une bouffée délirante aiguë.
Je me souviens avoir griffonné, dans un agenda de cuir noir, des fragments de pensée, des éclats de phrases, des mots venus frapper à la porte de ma caboche.
Puis la rémission est arrivée. Après plusieurs années de lutte, grâce à une médication appropriée, j’ai pu mener une vie à peu près normale — entre deux autres tempêtes en 2010 et 2015.
J’ai persisté dans l’écriture. Cet art puissant, cette architecture fragile du langage, continue de m’étonner. Elle m’arrache au sol où poussent encore les racines d’un passé lourd, maladroit à dire la beauté des mondes.
Et j’ai compris : *Patience, rien ne dure* — ni les chutes, ni les renaissances.
Écrire, je crois, permet d’aller d’ici vers là-bas. Comme un déracinement, une envolée. Mais il est tout aussi crucial d’apprendre à atterrir.
Savoir reconnaître, dans la lumière glacée des petits matins, une porte vers un revers du monde. Là où tout s’effiloche, se défait… pour mieux se retrouver.
Si ce que j’écris, nourri de mes bouffées délirantes et de la vie qui revient, peut servir et être utile, alors le tour est joué.
Et si tout cela disparaît un jour, tant mieux : *Patience, rien ne dure*. Ce qui compte, c’est ce qui renaît.
Comme le clignement d’une paupière qui, dans ses battements boursouflés, souffle aux mondes quelque chose d’imparfait — mais que chacun devine comme le centre : le lieu d’une quête sans début ni fin.
Comme le battement d’un cœur qui, en s’arrêtant, nous plonge dans l’attente d’un recommencement. Des mondes subtils ou grossiers, peu importe. Pourvu qu’on y retrouve le désir ardent, indéboulonnable, qui trône sous la chair des vivants — d’où qu’ils viennent, quoi qu’ils en disent.
Et si parfois l’écriture s’interrompt, si elle s’efface ou se brise, ce n’est pas un adieu. C’est juste le temps qui passe, fidèle à sa promesse :
*Patience, rien ne dure.*
« Si la mer se meurt » est un récit intime sur la vie avec la schizophrénie, entre vertiges, visions et renaissances. Des années de lutte, de silence et de mots arrachés au chaos, jusqu’à cette révélation : Patience, rien ne dure. Ni la douleur, ni la lumière — seulement le mouvement de vivre. »